INCONTINENCE FÉCALE DES PERSONNES ÂGÉES

Vous qui venez ici dans une humble posture
De vos flancs alourdis décharger le fardeau
Veuillez, quand vous aurez soulagé la nature
Et déposé dans l'urne un modeste cadeau
Épancher dans l'amphore un courant d'onde pure
Et sur l'autel fumant placer pour chapiteau
Le couvercle arrondi dont l'auguste jointure
Aux parfums indiscrets doit servir de tombeau.
A. de Musset, pour G. Sand

Auteur : Patrick LEDIEU Médecin gériatre, Hôpital Nord de Clermont-Ferrand

Mise à jour Juin 2003

 

Définition, épidémiologie

Définition : l’incontinence fécale est définie par l’incapacité de parvenir à une exonération pour les selles à un lieu et/ou à un moment approprié.

On estime en France que 11 % des sujets de plus de 45 ans avouent des épisodes d’incontinence fécale. Les femmes sont plus touchées que les hommes : 13 % contre 9 %.

La fréquence de l’incontinence fécale augmente avec l'âge et avec les pathologies psychiatriques : on l’estime entre 11 % et 37 % chez la population âgée communautaire et à plus de 50 % en institution.

Quelle en est la conséquence ?

- C’est d’abord une infirmité mal tolérée qui conduit à l’isolement social.

- C’est aussi un véritable problème de santé publique avec un coût important pour la collectivité.

Physiologie

1 - Anatomie

a - Le système résistif ou système sphinctérien

L’anus est fermé par un sphincter annulaire constitué de fibres musculaires lisses dans les deux tiers supérieurs et fibromusculaires striés au tiers inférieur. La paroi du canal anal est riche en récepteurs sensitifs discriminants (permet de distinguer les composés solides, liquides ou gazeux)

b - Le système capacitif

Il s’agit du réservoir formé par l’ampoule rectale qui fait suite au sigmoïde. La capacité du rectum est de 250 à 500 ml mais peut aller jusqu’à 1 000 ml ou plus chez les constipés chroniques. La paroi du rectum est munie de tensiorécepteurs (distingue la sensation de plénitude). Les propriétés élastiques de la paroi permettent de s’adapter à son contenu (compliance).

2 - Continence

Entre les défécations, le rectum est vide. Plusieurs fois par jour, les selles arrivent dans l’ampoule rectale déclenchant un réflexe de relâchement du sphincter lisse (réflexe recto-anal inhibiteur). La distension du rectum induit un réflexe de contraction du sphincter strié (réflexe recto-sphinctérien strié qui est issu d’un comportement social acquis dans l’enfance). Après réadaptation du rectum à son contenu, le tonus sphinctérien redevient basal. Ce mécanisme permet de surseoir à la défécation jusqu’à une sensation de besoin de plus en plus pressante.

3 - Défécation

Il s’agit d’un acte volontaire qui nécessite une synergie entre les contractions du rectum et le relâchement du sphincter. La poussée abdominale volontaire peut la déclencher.

4 - Modifications dues au vieillissement normal

¨    La puissance du sphincter décroît après l'âge de 70 ans (diminution de la masse musculaire).

¨    La capacité du réservoir rectal diminue avec l'âge (baisse de la compliance).

¨    Le temps de défécation est plus long.

¨    Globalement, il y a une fragilisation de la fonction ano-rectale qui tend à favoriser l’incontinence.

5 - Facteurs de risque d’incontinence fécale

o     Antécédent d’incontinence urinaire

o     Dépendance motrice

o     Altération des fonctions cognitives

o     Antécédent de maladie neurologique

Mécanismes de l’incontinence fécale chez le sujet âgé

1 - Atteinte du système résistif (“ incontinence avec rectum vide ”)

 

Ø   Syndrome du périnée descendant +++ (sujet ayant souvent un long passé de constipation terminale avec effort excessif de poussées)

Ø   Lésions obstétricales ++ (souvent associées à une incontinence urinaire)

Ø   Lésions chirurgicale (intervention proctologique...) et iatrogène (proctite radique)

Ø   Faiblesse du sphincter + diarrhées…

2 - Dépassement du système capacitif (“ incontinence avec rectum plein ”)

o     Plénitude rectale +++

Chez les sujets âgés en institution, il y a une corrélation évidente entre constipation, plénitude rectale et incontinence fécale.

o     Fécalome ++

L’irritation de la paroi rectale par le fécalome est responsable souvent des fausses diarrhées.

o     Réduction de la capacité rectale (tumeur, pathologie inflammatoire...)

o     Dysfonctionnement ano-rectal (asynchronisme ano-rectal responsable d’une constipation basse et d’un syndrome du périnée descendant et donc d’une incontinence).

3 – Perte du contrôle neurologique

o     Perte du réflexe recto-sphinctérien strié (comportement social acquis dans l’enfance) chez des sujets souffrant d’altération des fonctions supérieures : c’est donc une incontinence dite comportementale.

o     Origine neurologique centrale ou médullaire (paraplégie, syndrome de la queue de cheval...)

Évaluation

1 – Interrogatoire

- Recherche constipation, diarrhée, intervention chirurgicale, incontinence urinaire…

- Évaluation de la dépendance motrice.

§                                        Évaluation des troubles cognitifs.

2 – Examen physique

§                                        Recherche d’un prolapsus rectal (femme)

§                                        Appréciation du tonus rectal, recherche d’un fécalome : toucher rectal.

3 – Examens complémentaires

Rarement nécessaires :

§                                        Anuscopie avec rectoscopie : recherche rectocèle, prolapsus…

§                                        Manométrie anorectale : mesure des pressions sphinctériennes.

§                                        Défécographie : visualisation d’un prolapsus.

§                                        Échographie endo-anale.

Traitement

1 - Traitement de la constipation et régularisation du transit

o     Obtenir une selle par jour au mieux ou au plus tous les deux jours (laxatifs per os ou suppositoires ou microlavements, accompagnement à la selle à heure fixe...).

o     Mesures diététiques (régime riche en fibres, hydratation suffisante :1 litre à 1,5 litre par jour, pruneaux...).

o     Évacuation d’un fécalome (lavement, curage au doigt).

o     Traitement d’une diarrhée chronique.

o     Traitement d’un encombrement colique plus haut pouvant nécessiter l’utilisation prudente d’une traitement pour préparation colique (X-PREP*).

Chez les personnes âgées dépendantes, ces techniques peuvent laisser espérer la guérison d’une incontinence fécale sur deux.

2 - Rééducation par électrostimulation ou bio feed-back

Taux de résultat satisfaisant dans les ¾ des cas.

3 - Intervention chirurgicale pour rétablir la statique périnéale ou traiter une pathologie.

4 - Pour les patients souffrant de troubles neurologiques, utilisation systématique de lavements ou/et de matériel palliatif.

5 - Chez les sujets déments : prise en charge essentiellement comporte-mentale.

Conclusion

 L’incontinence fécale est relativement fréquente chez le sujet âgé (jusqu’à 50 % et plus en institution).

 Les causes les plus fréquentes sont la constipation chronique avec le syndrome du périnée descendant, le fécalome, les troubles du comportement, l’altération de la statique pelvienne chez les femmes aux antécédents obstétricaux.

 Une exploration par recto-sigmoïdoscopie est parfois utile pour éliminer une pathologie.

 La prise en charge repose essentiellement sur le traitement de la constipation. La rééducation est efficace mais ne peut être réalisée que chez des sujets plus jeunes et aux fonctions supérieures respectées.

 En institution, on insistera sur la prise en charge comportementale des patients déments. Pour les patients présentant des troubles locomoteurs ou/et cognitifs, c’est la volonté de les accompagner régulièrement aux toilettes ou de leur proposer le bassin qui permettra d’éviter ou de retarder l’évolution vers l’incontinence, en tout cas un respect de leur dignité : la non prise en compte de ce principe devient une conduite maltraitante.

Bibliographie

Chassagne P. : “ Prise en charge des troubles du transit chez la personne âgée vivant en institution : l’incontinence fécale ”. Gérontologie Pratique, Mars 2003, 145 : 3.

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